SANSAHO

 

 

22° 19’ 42’’ N  103° 49’ 40’’ E

Les coups de klaxon ne s'arrêtent jamais. Dans l'espoir de faire une sieste, j'y cherche depuis 1/2h une mélodie, quelque chose de régulier qui me bercerait. En vain. C'est juste anarchique et j'avoue que je rêve d'un peu de calme. J'écarte le tissu à fleurs décoloré par le soleil juste noué en quelques points à une vieille tringle. Mon petit balcon domine une partie de la ville. Sur la vitre, un filet d'eau s’écoule inlassablement. Cela vient des climatiseurs qui tournent sans répit.

 

 

Les derniers rayons frôlent quelques immeubles tandis que les scooters sont toujours en effervescence. Pierre n'a pas pu m'héberger, il s'est installé depuis quelques mois près du Lac Hoan Kiem. Il vit dans ce que l'on appellerait à Paris un placard à balai. Ici au Vietnam, une famille et toute sa descendance pourrait y tenir. Aussi, j'ai préféré me louer une chambre dans une guesthouse bien typique où l'on ne parle même pas anglais.

« Tạm biệt Miss Dang ! » La petite dame me répond d'un large sourire édenté en s'empressant de venir m'ouvrir la porte. Sur le palier, je perçois comme une violente claque le vacarme nocturne de Hanoï.

 

Pierre m'attend au café juste en face, il me fait un signe amical de la main. Mais traverser la rue est une véritable épreuve, je suis loin de comprendre comment survivre au va-et-vient bordélique des deux roues. L'autre soir, un ami de Pierre m'a dit que lorsque l'on s’élançait, il ne fallait surtout pas changer de rythme
ou faire demi-tour. « Ce n'est pas à toi d'éviter les scooters, ce sont eux qui te contournent. » Figé sur le trottoir, je m'offre quelques secondes de réflexion avant de confier ma vie en de parfaits inconnus. D'ici quelques minutes, nous serons à bord du train hors d'âge qui relie la région de Sapa. Pierre me lance un regard plein de malice « L'aventure nous attend ! » 

Et ce n'est pas peu dire, notre train de nuit ne comporte pas de wagon couchette. Je me mets à regretter âprement la literie vieillissante de Madame Dang en cognant aux moindres secousses mon épaule meurtrie sur le bois des banquettes. Chaque fois que mon corps se détend un chouia, c'est un nouvel arrêt pour laisser monter des passagers. Et alors, le chef de gare se prend pour un virtuose et sonne sa cloche à tout va.
6h : la délivrance arrive à l'heure du petit déj' vietnamien, la soupe Pho se dégustera par terre sans aucune retenue, bien heureux de ne plus être bringuebalés dans tous les sens. Le jour se lève sur les montagnes verdoyantes, nous sommes au dessus de la vallée de Muong Hoa. Les touristes viennent ici faire de grandes randonnées au milieu de paysages encore préservés. On ne vient pas pour se surpasser, les sommets on les laisse aux autres. On veut juste rompre avec l'hystérie de Hanoï.

Des hommes et des femmes en habits traditionnels colorés s'activent autour de leurs étals. Notre contact à Sa Pa vient vers nous l'air jovial. Nous sommes les seuls européens du marché, pas bien compliqué de nous repérer. C'est un jeune garçon d'une vingtaine d'année à la musculature bien marquée. Ses mains ne trompent pas, rugueuses et larges, Quyen travaille la terre avec sa famille du côté de San Sa Ho.

Quelques heures plus tard, on découvre le petit village d'agriculteurs accroché au dessus des rizières. Au milieu de tout ce vert, les grandes huttes au toit de chaume se rassemblent comme un bouquet de champignons. Cette nature façonnée par l'homme ne laisse aucune place aux imperfections. Les courbes des champs se suivent avec une régularité surréaliste.

  

Soudain, l'odeur de rôtisserie réveille mon estomac. De la fumée sort par tous les côtés d'une des cabanes de bois. Comme souvent dans les ethnies reculées, le foyer n'a pas de conduit d'évacuation et l'on cuit la viande en s'asphyxiant. C'est un repas festif donné à l'occasion de notre arrivée, je me fais un plaisir d'honorer l'invitation.

 

 

Pierre a tout du citadin et a quelque peu du mal à apprécier la compagnie des cochons autour de la natte qui nous sert de table. Mais ils sont vite dispersés par l'intrusion de la moitié du village qui vient nous saluer. Ou plutôt nous observer, les enfants nous épient en riant et en se chahutant. Nous sommes des bêtes de foire et l'on se prête au jeu en grimaçant et en exagérant nos gestes pour tenter de communiquer.

La migraine l'emporte sur notre bonne volonté et c'est un anglais installé au village depuis 20 ans qui nous initie à la médecine traditionnelle de la région. « Tu mets la braise au fond de la corne tu vois ? Ça ne craint rien ! » Je n'ose pas tester la corne de chèvre utilisée comme ventouse pour faire circuler les énergies et dissiper le mal et en douce je prends un cachet de paracétamol. 
Plus tard, alors que seules les étoiles semblent encore s'agiter dans le noir, je m'endors avec l'excitation de vivre encore quelques jours dans cet autre Vietnam.