KELWOOD

 

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50° 37’ 28’’ N 99° 27’ 54’’ W

C'est drôle, j'ai toujours cru que le froid était plus supportable que le chaud. C'est vrai quoi, quand j'essaye de lézarder sur un sofa en été, j'ai beau siroter une boisson fraîche et bouger le moins possible, je tiens pas. Avant le Canada, je me disais « tu te couvres bien, c'est la clé. Je fais du ski en hiver, je connais ». Et puis le truc des 3 couches superposées, tu sais, la fameuse astuce que tous les sportifs nous rappellent avec ton moralisateur... J'ai même entendu parler de technique de l'oignon. Bon. Bah à croire qu'on m'avait lavé le cerveau quand j'étais étudiant à Winnipeg. Surtout pendant ce week-end là dans la « cabin » d'un ami canadien car je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de toute ma vie.

 

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La veille du départ, j'aurais dû me méfier. Le vent du nord-ouest soufflait fort et la neige soulevée donnait une impression de brouillard cotonneux. Les rues de la ville avaient été délaissées pour la douceur du foyer. Et c'est une route déserte que nous empruntions le samedi matin. Entre les mélèzes sans âge couverts de blanc, la seule empreinte humaine encore visible était ce ruban noir sur lequel nous roulions. Les centaines de milliers de lacs de cette province étaient aussi effacées du paysage. Comme d'un coup de baguette magique, la toundra verte et les étendues d'eau ne formaient qu'un tout immaculé. On pouvait apercevoir au loin un groupe de caribous sans problème dans ce tableau minimaliste.
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En approchant de Kelwood, le sol se confondait avec le ciel, la glace devenait reine et dans la voiture je me crispais sur l’accoudoir en espérant ne pas finir à pied au milieu de rien. C'est qu'à tout moment, tu te trouvais peut-être sur l'eau par ici, comment savoir ? Mais l'avantage de ce froid glacial, c'était l'épaisseur gelée dure comme le marbre, avant de passer au travers, fallait y aller ! 

 

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D'ailleurs, après avoir posé nos bagages dans la maison de vacances de Mathieu, la troupe d'étudiants écervelés que nous étions s'était précipitée sur le vaste lac près de notre refuge. Les rayons traversaient les arbres, apaisant l'air piquant.

 

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Mat venait là petit et il nous vantait depuis des semaines une partie de hockey sur glace entre potes. Ça nous avait transporté cette idée, et même je crois bien que j'avais tenu la tension des exams à l'Université juste grâce à cette vision de moi en train de shooter dans le palet en pleine nature.

 

La réalité était tout autre. Il avait fallu déneiger vigoureusement le sol pour sortir les patins. Et quand on s’élançait, on pouvait apprécier toutes les irrégularités malfaisantes de la surface givrée. Pour le coup, on pouvait vraiment utiliser l'expression « véritable patinoire ». A la fois glissant et casse-gueule à souhait.
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Deux vieux nous observaient d'un air moqueur. Ils surveillaient nos tentatives rocambolesques pour rester debout depuis une minuscule cabane posée sur la glace. Je m'approchais intrigué. Quelle fut ma surprise de voir un trou dans le sol au cœur de cet abri de fortune. Les gars étaient en train de pécher. Une activité qui me laissait dubitatif avec de telles températures. Les planches n'empêchaient pas de mourir gelé mais elles cassaient un peu le vent pénétrant.

Alors, je restais là, à leur arracher quelques anecdotes et de larges sourires. C'est que je faisais peine en baskets sur le lac, je ne me fondais pas vraiment dans le paysage local. Et je n'étais pas le seul dans le groupe. Charlène avait ce jean à la mode assez court pour qu'on voit les chevilles et de petites soquettes pailletées. On supposait à son nez rouge et ses lèvres bleuies qu'elle regrettait ce choix. En suivant mon regard fixé sur ses pieds, nous avions tous explosé de rire.

 

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Tout cela nous avait ouvert l'appétit. Et c'est rempli d'enthousiasme que nous avions expérimenté un barbecue sous -40°. Trouver du petit bois avec les monticules de poudreuse était du domaine de l'impossible. Tout autant que d'obtenir la moindre flamme, le froid intense étouffait le plus petit départ. Même le masque de ski que je portais pour conserver une partie de mon visage encore mouvante, avait gelé, ne me laissant qu'entrevoir nos efforts inutiles pour lancer le feu. Nous nous frottions à une nature hostile face à laquelle nous n'étions pas du tout préparés. 

 

Heureusement, loin de tout scénario catastrophe, le centre ville à deux pas, offrait un café typique à tous les downtowns paumés d'Amérique. On allait profiter d'un repas chaud, plus appétissant que des saucisses au micro-ondes.

 

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C'était une bicoque aussi vintage que ringarde mais qui ne jurait en rien avec ses occupants. Le lambris au plafond et le comptoir jaunissant se mariait parfaitement au blouson taché de gras du balaise de l'entrée. Nous étions hors de notre zone de confort, comblés de toutes ces péripéties sans grandes conséquences mais tellement exaltantes. Alors, je ne vous raconte pas notre joie quand nous avions découvert le club de curling attenant au restaurant. Encore une occasion de perdre nos doigts déjà frigorifiés mais toujours avec la même bonne humeur. A la nuit tombée, comme pour célébrer le ciel s'était mis à danser dans un vert extravagant.
 
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Les souvenirs de ce week-end sont si vifs, comme marqués en moi à l'azote. Ce froid mordant, c'était quelque chose... Nous avons quand même attendu le printemps pour revenir pêcher ici.

 KELWOOD - 50° 37’ 28’’ N 99° 27’ 54’’ W


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